Déjà-vu, mémoire et photographie

Le déjà‑vu est une brève expérience durant laquelle le temps semble avoir été mis en boucle.

Le moment se déroule devant nos yeux, au temps présent, mais il nous semble en tout point identique à un souvenir, à un événement que l’on aurait déjà vécu mais dont on ne parvient toutefois pas à clairement identifier l’origine.

La science suggère que ce phénomène ne serait dû qu’à une simple erreur d’aiguillage dans le cortex cérébral¹. Mais fort heureusement, le monde ne se limite pas à celui de la connaissance scientifique; ainsi, j’aime imaginer qu’il puisse exister une dimension parallèle à la nôtre, un monde où la totalité du temps et de l’espace serait accessible simultanément de manière non-linéaire. Le déjà-vu ne serait alors qu’un glissement entre ces deux dimensions, un «glitch» de l’espace-temps qui nous donnerait momentanément accès à cette autre chronologie.

Tout ceci n’est bien entendu que pure hypothèse, mais si ce point de vue m’intéresse, c’est en tant que métaphore de la photographie. La photographie ouvre une fenêtre sur un monde qui, en surface, ressemble à la réalité, mais qui en fait n’obéit à aucune de ses règles. Ce monde est intérieur, c’est le domaine de la pensée, de la mémoire et des rêves.

Une photo, comme toute image, n’est pas un objet du réel; elle est une idée, un objet immatériel qui existe indépendamment du temps et de l’espace.

© 2022 Rico Michel

La photographie et la mémoire sont en effet si similaires qu’il est parfois facile les confondre. Après tout, une photo, comme toute image, n’est pas un objet du réel; elle est une idée, un objet immatériel qui existe indépendamment du temps et de l’espace. Elle peut même, alors que le temps passe et que notre souvenir s’estompe, en venir à complètement remplacer la mémoire originale.

Ajoutant à la confusion, la mémoire elle-même fonctionne comme un diaporama: elle isole, condense et embellit nos souvenirs; elle les place tels des photographies dans un carrousel, prêts à être rejoués lorsqu’on lui en fera la demande.

L’expérience du déjà-vu, à la fois incontestablement réelle et physiquement impossible, nous amène à remettre en question la nature même de la mémoire: en effet, comment ne pas douter de l’authenticité d’un souvenir s’il peut être si facilement brouillé, détourné ou même remplacé?

Faisons le raisonnement en sens inverse, c’est-à-dire en partant de la photographie pour aller vers le réel. De la multitude d’images croisées à chaque jour, seulement quelques-unes vont nous plaire, nous choquer ou nous émouvoir suffisamment pour capter notre attention. Ces images d’inconnus sont en quelque sorte des souvenirs «trouvés» que nous allons faire nôtres en les imprimant à notre mémoire. Nous sommes tous, à un degré ou à un autre, dépositaires de fragments d’une mémoire collective. ◼︎

  1. Stephanie Pappas, “What causes déjà vu?”, Scientific American, février 2023 [lire l’article]
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