Déjà-vu, mémoire et photographie

Déjà-vu, mémoire et photographie
Déjà-vu — La photographie en tant qu'image trouvée et mémoire readymade

Le déjà‑vu est une brève expérience durant laquelle le temps semble avoir été mis en boucle.

Le moment se déroule devant nos yeux, au temps présent, mais il nous semble en tout point identique à un souvenir, à un événement que l’on aurait déjà vécu mais dont on ne parvient toutefois pas à clairement identifier l’origine.

La science suggère que ce phénomène ne serait dû qu’à une simple erreur d’aiguillage dans le cortex cérébral¹. Mais fort heureusement, le monde ne se limite pas à celui de la connaissance scientifique; ainsi, j’aime imaginer qu’il puisse exister une dimension parallèle à la nôtre, un monde où la totalité du temps et de l’espace serait accessible simultanément de manière non-linéaire. Le déjà-vu ne serait alors qu’un glissement entre ces deux dimensions, un «glitch» de l’espace-temps qui nous donnerait momentanément accès à cette autre chronologie. Lire

Abstraction et photographie

Abstraction et photographie
Salt Ponds #2a, Near Fatick, Senegal, 2019 (detail) — © 2019 Edward Burtynsky

Bien entendu, l’image photographique ne peut, comme le fait la peinture, aspirer à une abstraction pure. Cela est du à sa définition: elle est un mécanisme qui permet de fixer l’image d’un objet réel¹. Un dispositif optique, comme un objectif ou un sténopé, capte la lumière ambiante et la projette sur une surface photosensible. Cette surface, qu’elle soit une pellicule argentique ou un capteur numérique, va réagir à différents degrés selon l’intensité de la lumière reçue; elle peut ainsi enregistrer l’image momentanément projetée par l’objectif.

Les peintres abstraits ne cherchaient pas à renier la réalité, mais plutôt à faire avancer la peinture en la libérant des contraintes formelles du réalisme. Ils ont dégagé le vocabulaire qui lui était propre en la ramenant à ses éléments essentiels: la matière, la forme, la couleur. La peinture ne devait plus rien au reste du monde: elle valait en elle-même. C’est cette pensée qui sous-tend tout l’art moderne du vingtième siècle. Lire

Adieu, photographie

Adieu, photographie
Daido Moriyama – Sans titre — Image tirée de la série Ombre et lumière, 1982.

«Je voulais aller au bout de la photographie»

Daidō Moriyama publie en 1972 un des chefs-d’œuvres de la photographie moderne: «Shashin yo Sayōnara» (Adieu, photographie). On trouve dans ce livre photo de 308 pages un continuum d’images en noir et blanc à la limite de l’abstraction. Certaines de ces images, selon Moriyama, ont été recomposées à partir de chutes de pellicule trouvées sur le plancher de la chambre noire. L’ensemble est pourtant d’une parfaite cohérence: il repousse les limites formelles de la photographie tout en affranchissant son discours de tout devoir de réalisme. Moriyama, clairement, désirait «aller au bout de la photographie».

Le travail de Moriyama n’est certainement pas facile d’approche pour un observateur occidental. On n’y trouvera pas d’image uniquement séduisante à laquelle on pourrait réduire toute son œuvre. Sa démarche, bien qu’essentiellement urbaine et imprégnée de culture médiatique, reste fidèle à la pensée orientale: elle accorde peu d’importance à l’image individuelle et ne trouve son sens que lorsqu’on l’envisage dans son ensemble. Lire

Les immortelles

«La clé de l’immortalité,» dit Richard Underwood, directeur de la photographie à la NASA durant le programme Apollo en s’adressant aux astronautes Buzz Aldrin et Neil Armstrong, «se trouve dans la qualité des photographies et rien d’autre».

Cosmologie de la lumière

Cosmologie de la lumière
Photons intriqués — L’étude de la lumière est au cœur de la physique quantique

Pour le photographe, la lumière est le matériau qui donne sa forme au monde.”

On raconte qu’au premier jour, le Divin créa la matière. Puis, il voulut créer la lumière, car sans elle il ne pouvait admirer sa création.

C’est la lumière qui nous révèle le monde. Elle découpe les caps, baigne les vallées, et scintille à la pointe des vagues. Elle prête sa chaleur à l’automne, et se fait blafarde en hiver. C’est elle qui au matin nous éveille et nous reconduit le soir au sommeil.

C’est en contemplant ses jeux célestes que j’ai compris sa vraie nature: la lumière n’est pas un objet terrestre, mais une force cosmique. Elle nous parvient d’une étoile, cette sphère irradiante suspendue à cent cinquante millions de kilomètres d’ici. Sans sa clarté et sa chaleur, il n’y aurait pas de vie sur Terre, et bien sûr, pas de photographie.

Au fil des saisons, j’ai su apprivoiser ses nuances, prévoir ses humeurs, et découvrir les lieux qui lui sont flatteurs; je m’en suis fait une alliée. La lumière est celle par qui tout commence, celle qui porte, et celle de qui, lorsqu’elle cède à la nuit, j’espère chaque fois le retour.
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L’œuvre d’une vie

«La photographie est une manière d’apprendre à lire sa propre culture.» — Joel Meyerowitz

J’ai eu l’impression que tout ce que j’avais photographié jusque-là n’était qu’une sorte de répétition, une lente acquisition des outils et de la sensibilité nécessaires pour en arriver à prendre ces photos. C’était l’œuvre de ma vie.”

Christopher Anderson, photographe chez Magnum et collaborateur au New York Times

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Poussées et retenues

Notre création n’est jamais que le reflet des nos élans, de nos hésitations, de nos peurs — la somme de toutes ces poussées intimes qui, s’influençant l’une l’autre forment éventuellement notre propre vision de la vie. Pour moi, les moments les plus mémorables ne sont pas solitaires, mais partagés. Bien sûr, en tant que simple mortel, j’ai quelques préoccupations bien terrestres, mais dans l’absolu mon but est de laisser des images qui sauront me survivre. Mon souhait est qu’elles portent en elles suffisamment de sens pour habiter la mémoire des gens du futur.
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On prend une vraie photo en temps réel, peu importe son niveau de conceptualisation.”

Annie Leibovitz, entrevue pour «L’album d’Annie» chez Taschen

L’appel de la pellicule

L’appel de la pellicule
Photographie argentique — Tout ce qui peut clocher va éventuellement clocher

Je cherche une image presque réaliste, familière, mais juste à côté du réel.

À l’ère du tout-virtuel, la pellicule argentique a en elle-même pris des allures de mythe. Elle est un anachronisme, un objet fragile et mystérieux qui semble doté du pouvoir de traverser les époques.

Le procédé est plus lent, plus laborieux, et produit des images moins détaillées que celles de sa contrepartie numérique. Cependant, si plusieurs photographes choisissent aujourd’hui la photo argentique, c’est qu’elle possède des qualités bien à elle.

Contrairement aux technologies numériques, linéaires et calculées, les procédés analogiques possèdent un rendu naturellement progressif et organique. Pour un plasticien, elles sont avant tout un choix esthétique, mais j’y vois aussi un aspect narratif: l’image analogique ne semble pas solidement ancrée au temps présent. Elle suggère une chronologie beaucoup plus vaste, et c’est ce flou temporel qui la rend propice à l’évocation d’un monde imaginaire. Je cherche une image presque réaliste, familière, mais juste à côté du réel.
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