Adieu, photographie

«Je voulais aller au bout de la photographie»

Daidō Moriyama publie en 1972 un des chefs-d’œuvres de la photographie moderne: «Shashin yo Sayōnara» (Adieu, photographie). On trouve dans ce livre photo de 308 pages un continuum d’images en noir et blanc à la limite de l’abstraction. Certaines de ces images, selon Moriyama, ont été recomposées à partir de chutes de pellicule trouvées sur le plancher de la chambre noire. L’ensemble est pourtant d’une parfaite cohérence: il repousse les limites formelles de la photographie tout en affranchissant son discours de tout devoir de réalisme. Moriyama, clairement, désirait «aller au bout de la photographie».

Le travail de Moriyama n’est certainement pas facile d’approche pour un observateur occidental. On n’y trouvera pas d’image uniquement séduisante à laquelle on pourrait réduire toute son œuvre. Sa démarche, bien qu’essentiellement urbaine et imprégnée de culture médiatique, reste fidèle à la pensée orientale: elle accorde peu d’importance à l’image individuelle et ne trouve son sens que lorsqu’on l’envisage dans son ensemble.

Shashin yo Sayonara

En lisant «Mémoires d’un chien», je me suis imaginé en Kerouac japonais, faisant la route avec Daidō. Nous cherchions à nous égarer dans l’espace-temps, à la recherche de cet état où, privés de nos repères habituels, nous en viendrions à confondre passé, présent, mémoire et imagination. Daidō n’était pas nostalgique. Il ne cherchait pas une image mémorable, mais l’image de la mémoire elle-même.

On peut croire que la photographie, de par le rapport étroit qu’elle entretient avec le réel, est confinée au simple rôle d’outil de représentation. Mais plusieurs artistes, d’Edward Steichen à Cindy Sherman en passant par Mary Ellen Mark, ont su en dégager la force métaphorique et lui assurer une place à l’avant-garde des arts picturaux. Les photographes japonais d’après l’occupation, affamés de modernisme et galvanisés par des magazines tels que Camera Mainichi et Provoke, ont redéfini la forme photographique. Mais Moriyama est allé plus loin: sa vision exaltée parle d’un «autre monde». Ce monde immatériel, sans chronologie ou vocabulaire, est étrange sans nous être étranger: c’est celui de la mémoire et des rêves. L’œuvre de Moriyama est unique en ce qu’elle a su faire le rapprochement entre le langage de la photographie et celui du subconscient. ◼︎

Titre Shashin yo Sayōnara (写真よさようなら)
Dimensions 185 × 230 mm
Longueur 308 pages
Impression Couverture souple avec jaquette
Parution 1972
Éditeur Shashin Hyoron-sha, Tokyo
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